L’EAU DE LA COUMELADE ET SON PARADOXE
L’eau a toujours conditionné la vie des habitants du Haut-Vallespir. C’est certainement sa présence, associée à celle des vastes pâturages, qui favorisa l’installation dans la haute vallée de la Coumelade des premiers habitants à Sant Guillem de Combret. La Coumelade est un torrent au débit irrégulier qui prend sa source au pied du Pic Rojà, à 2700 mètres d’altitude. Elle est alimentée par un petit névé résistant aux étés les plus chauds, est amplifiée par plusieurs affluents et termine son chemin dans le fleuve du Tech.
À partir du XIIIe siècle, la force hydraulique est utilisée pour actionner le marteau des forges catalanes qui se multiplient près des cours d’eau. À Sant Guillem, aux XIVe et XVe siècles, deux forges bénéficient de ce processus. Quelques siècles plus tard, autour du XVIIIe, l’apparition de la trompe hydroéolique automatise le fonctionnement des soufflets qui insufflent de l’air au niveau du bas fourneau. Alors que le déclin des forges et des mines s’amorce, la force motrice des cours d’eau est utilisée pour produire de l’électricité. Propriétaire des usines hydroélectriques du Pas du Loup (sur le Tech) et de Villefranche (sur la Têt), l’Industrie Électrique Écoiffier inaugure une centrale à la Llau le 24 novembre 1924. Celle-ci est une usine « au fil de l’eau » : l’énergie, produite au gré des débits de la Coumelade, n’est pas stockée, mais directement consommée. L’eau est dérivée en pente douce à travers une galerie souterraine sur environ 2 kilomètres. Elle est ensuite dirigée jusqu’à la centrale par une conduite forcée de plus de 300 mètres de chute brute et permet d’actionner des turbines qui entraînent à leur tour des alternateurs produisant du courant.
Bénéfiques au territoire, les cours d’eau du Haut-Vallespir n’en sont pas moins dangereux et connus pour leurs crues dévastatrices. La plus tristement célèbre est celle de 1940, appelée l’Aiguat. Cette année-là, de grosses averses s’abattent sur le territoire depuis le mois d’octobre et les sols sont saturés d’eau. Le jeudi 17, après de nouvelles précipitations, des torrents de boues, de pierres et de bois emportent tout sur leur passage. Les chiffres du 18 octobre indiquent que le débit de la Coumelade était près de cent fois supérieur au débit actuel. Après trois jours coupés du monde, le Vallespir se réveille meurtri : plus de quarante décès et des hameaux, des habitations, des entreprises démolis. La moitié de Le Tech, son église et son cimetière sont emportés. Sous l’arboretum, l’Aiguat efface définitivement les dernières traces d’une des deux forges. La centrale de la Llau est complètement détruite.
Les stigmates de ce drame sont encore visibles aujourd’hui. À Sant Guillem, la Coumelade a déposé à plusieurs mètres de son lit d’énormes rochers tels des vulgaires galets. D’autres crues, moins dévastatrices, eurent également lieu les années suivantes : entre 1942 et 1992, on n’en compte pas moins de six. La centrale de La Llau est reconstruite quelques années après sur l’autre rive. Elle est mise en service en 1949. Aujourd’hui, elle fait partie du parc hydroélectrique d’EDF, tout comme les usines du Pas du Loup, de Puig Redon et de Le Tech. Elle permet de générer une énergie, propre et renouvelable, nécessaire approximativement à un village comme Le Tech.